Familier, inconvenant, un poil arrogant… «Ce directeur de projet informatique arrivait au terme du processus de recrutement. Le dernier entretien ne devait être qu’une formalité, raconte Emmanuel Stanislas, fondateur du cabinet Clémentine, missionné sur le poste. Mais, à sa grande stupéfaction, sa désinvolture lui a coûté le job !» Interviewé à distance, ce cadre quadragénaire pourtant confirmé se promenait dans son appartement, PC sous le bras, allait du salon à la cuisine, choisissait sa capsule de café, faisait cracher la machine ad hoc, repassait dans le couloir tout en continuant de converser… «Le DG et la DRH ont eu le sentiment de faire la visite virtuelle des lieux et de parler à un manager qui n’était pas à 100% avec eux, résume Emmanuel Stanislas. Ce zeste de surconfiance et ce qu’il trahissait de ses habitudes en télétravail lui ont joué des tours.»
L’e-entretien de recrutement n’est pas une nouveauté en soi, mais le contexte inédit du confinement en a accru l’usage. A distance ou pas, cela reste une affaire sérieuse, à préparer avec autant de soin que s’il s’agissait d’un rendez-vous physique, assurent les recruteurs. D’autant que l’on se retrouve parfois dans un lieu peu propice. «J’ai récemment interviewé en vidéo une jeune candidate pour un poste d’auditeur, qui me répondait depuis sa chambre d’enfant, raconte Maeva Lasserre, chargée de recrutement chez Mazars. Elle a commencé à m’expliquer pourquoi le papier aux murs était rose avec des fleurs, pourquoi il y avait des peluches sur le lit… Confinée chez ses parents, elle voulait à tout prix justifier ce décor, craignant d’être associée à la petite fille qu’elle avait été. Je n’ai pas voulu accroître son malaise et je lui ai dit que ça n’avait aucune conséquence sur sa candidature. D’ailleurs, elle a eu un deuxième entretien.» L’anecdote n’a pas été pénalisante, mais une telle insistance à se justifier aurait pu desservir la candidate face à un autre recruteur.
Autre point à surveiller : la technique, parfois pour le moins malicieuse, comme le raconte cette consultante au sein du cabinet CCLD, expert dans le commercial et la distribution : «Quand la candidate a allumé sa caméra, elle avait oublié de retirer un filtre Snapchat. Elle a fait tout l’entretien avec un masque de félin qu’elle n’arrivait pas à enlever ! Mais elle a bien réagi, en plaisantant : “Je vous rassure, je n’ai pas cette tête là en vrai” !» L’humour reste une excellente réponse quand on se laisse surprendre dans une situation délicate. «A distance, la première impression est tout aussi capitale que dans la vie réelle, assène Emilie Legoff, fondatrice de Troops, spécialisé dans les recrutements RH. Si le candidat est débraillé ou commet une bévue et qu’il s’en aperçoit, la moitié de son cerveau ressasse et se déconcentre.» De son côté, le recruteur aussi doit être prêt. Et éviter de se comporter comme un sadique : «J’ai entendu parler de recruteurs qui ne branchent pas leur caméra et s’adressent aux candidats derrière un écran noir. Du coup, ces derniers ne savent même pas s’ils sont seuls à écouter ou pas, relate Emmanuel Stanislas. Cela crée un déséquilibre, un échange désincarné et froid.» Le regard et les gestes sont aussi importants en virtuel qu’en réel pour faire émerger une relation. Afin d’éviter toute dérive, Mazars, qui a adapté son processus d’embauche au télérecrutement, a mis en ligne des capsules vidéo explicatives et un guide de bonnes pratiques. L’ensemble est destiné aux candidats… et aux recruteurs.
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