L’opérateur, qui comptait alors 6,5 millions d’abonnés, avait conclu un partenariat technologique avec Huawei pour déployer son réseau mobile. Huawei disposait d’un accès au réseau mobile de KPN, d’après un rapport de Capgemini datant de 2010 pour alerter KPN (rapport sur lequel le quotidien néerlandais Volkskrant a pu mettre la main). Grâce à lui, la société chinoise a pu mettre la main sur les données des clients de l’opérateur de « manière illimitée, incontrôlée et non autorisée » de par sa position. Selon le journal, Huawei a pu écouter de nombreuses conversations confidentielles comme celles du Premier ministre de l’époque, Jan Peter Balkenende, de divers ministres et de dissidents chinois. Huawei savait également quels numéros étaient exploités par la police et les services de renseignement.
KPN a utilisé la technologie de Huawei en 2009. Six employés chinois de la société travaillaient alors au siège social de La Haye. Une partie de la gestion de ces équipements était en outre assurée depuis la Chine. De plus, la liste des numéros placés sur écoute judiciaire était stockée sur un serveur contrôlé par Huawei, et les six salariés pouvaient accéder aux informations et contenus desdites écoutes. Ces mêmes salariés pouvaient également écouter n’importe quel numéro KPN dans le monde, sans que l’entreprise n’en soit tenue informée.
Cette année-là, le fournisseur de télécommunications a demandé aux chercheurs de Capgemini d’analyser les risques associés à Huawei et le comportement de la société chinoise au sein de KPN. AIVD (l’Algemene Inlichtingen- en Veiligheidsdienst est le service de renseignement extérieur des Pays-Bas, créé en 2002 et placé sous le contrôle du ministre des Affaires intérieures et des Relations au sein du Royaume) avait déjà mis en garde KPN à plusieurs reprises sur le risque d’espionnage par Huawei.
Les conclusions se sont révélées si alarmantes que le rapport interne a été tenu secret. D’après le rapport: « La survie de KPN Mobile est sérieusement en danger, car les permis peuvent être révoqués ou le gouvernement et le monde des affaires peuvent renoncer à leur confiance dans KPN s’il était rendu publique que le gouvernement chinois peut écouter les numéros mobiles de KPN ».
Accès non autorisé depuis la Chine
Le rapport Capgemini a déclaré que le personnel de Huawei, à la fois dans les bâtiments de KPN et en Chine, pouvait écouter des conversations de numéros de mobile KPN de façon non autorisée, incontrôlée et illimitée. La société a obtenu un accès non autorisé au cœur du réseau mobile depuis la Chine. La fréquence à laquelle cela s’est produit n’est pas claire, car elle n’a été enregistrée nulle part.
Alors que ce rapport a finalement refait surface, l’opérateur se défend de toute intrusion de Huawei sur ses réseaux : « Il n’a jamais été constaté que des données clients ont été dérobées par Huawei sur nos réseaux, nos systèmes ou (que des numéros) ont été placés sur écoute », fait savoir l’opérateur. De son côté, le géant chinois a balayé ces accusations, déplorant la publication d’un « rapport donné aux services de renseignements néerlandais il y a plus de 10 ans ».
« Les employés de Huawei n’ont pas eu d’accès non autorisé au réseau et aux données de KPN, et n’ont pas extrait de données de ce réseau. Huawei a toujours travaillé avec l’autorisation explicite de KPN », défend également la direction de la firme de Shenzhen.
« Depuis nos débuts aux Pays-Bas il y a 15 ans, nous n’avons jamais été tenus responsables par les autorités gouvernementales pour des actes non autorisés », a déclaré Huawei dans un communiqué publié samedi.
Sur la base du rapport de Capgemini, KPN a décidé de s’abstenir d’externaliser la maintenance complète du cœur de réseau mobile. À ce jour, l’entreprise de télécommunications maintient elle-même son cœur de réseau mobile, avec l’aide de fournisseurs occidentaux. Pour faire face aux risques dans les systèmes du réseau, KPN a déclaré qu’elle mettait en œuvre un plan d’amélioration.
Volkskrant a rapporté le mois dernier que la société chinoise avait également un accès illimité aux données clients de la filiale de KPN Telfort, et Huawei a également nié à l’époque que son personnel avait agi de manière contraire à l’éthique à tout moment.
Depuis quelques années déjà, Huawei perd des marchés suite aux accusations d’espionnage. Washington avait soutenu que le réseau 5G de Huawei pouvait être utilisé par le gouvernement chinois pour espionner les pays occidentaux, une allégation que la société a démentie à plusieurs reprises. Cependant, le gouvernement américain a récemment intensifié la pression sur ses alliés, pour qu’ils expulsent Huawei au risque d’être coupés de son partage de renseignements.
C’est ainsi que le Royaume-Uni a annoncé le retrait des équipements réseau 5G de Huawei de son territoire. Les opérateurs de télécommunications ne sont plus autorisés à acheter de nouveaux équipements de télécommunications 5G à la société chinoise depuis janvier 2021. Ils disposent de sept ans pour retirer la technologie existante du constructeur chinois de leur infrastructure 5G. Voilà en substance le contenu de l’annonce du gouvernement britannique en juillet 2020 au sujet de ses choix en matière de déploiement de la technologie 5G sur son territoire. On part donc d’une situation où Huawei plafonne à 35 % de parts de marché (avec des équipements écartés de parties centrales du réseau ou de zones géographiquement sensibles) à une autre où l’entreprise va voir ses équipements complètement retirés des réseaux 5G du pays.
En France, le Conseil constitutionnel a validé la loi « anti-Huawei » pour sécuriser la 5G. « Notre niveau d’exposition aux risques devient un peu plus important. Il faut donc faire évoluer le périmètre pour s’assurer que les usages puissent se dérouler dans de bonnes conditions », avait dit le député LaREM, Eric Bothorel, lors de l’initiation du projet de loi à l’Assemblée nationale. Mais la loi française dont « Le but étant de valider le choix de l’équipementier réseau 5G des opérateurs » est taxée de vouloir écarter le géant des télécommunications chinois Huawei de la compétition pour le déploiement du 5G en France.
La Suède a interdit à Huawei et ZTE d’accéder à ses futurs réseaux 5G, de même que la Belgique. « La Belgique dépend à 100 % des fournisseurs chinois pour ses réseaux radio et les personnes travaillant à l’OTAN et à l’UE passaient des appels sur ces réseaux. Les opérateurs envoient un signal indiquant qu’il est important d’avoir accès à des réseaux sûrs », a déclaré John Strand, consultant danois indépendant en télécommunications. Orange et Proximus ont choisi Nokia pour la construction d’un réseau 5G en Belgique.
Source : Volkskrant