Le fabricant de puces, qui a mis la main sur l’un des acteurs-clé de la voiture autonome, l’israélien MobilEye, a bien l’intention d’être un architecte de la mobilité de demain. Pas mal pour un dinosaure de l’informatique, créé en 1968.
On retrouve partout les puces de cette compagnie américaine, au célèbre slogan (« Intel inside »). Pour l’anecdote, c’est le cofondateur de la société, Gordon Moore, qui a donné son nom à la célèbre loi qui s’applique à la puissance de calcul des ordinateurs. Celle qui énonce que le nombre de transistors par circuit de même taille va doubler tous les 18 mois. Intel fait partie des leaders mondiaux des semi-conducteurs avec le géant de Taiwan TSMC et le coréen Samsung. En ce moment, ce fabricant doit faire face à une pénurie de puces qui affecte grandement l’industrie automobile. Selon le PDG, Pat Gelsinger, la crise pourrait durer plusieurs années. Le géant américain prévoit d’ailleurs de produire en Europe, et pourquoi pas en France, pour éviter le problème de la dépendance à l’Asie. Et aux Etats-Unis, il se dit même prêt à produire dans ses usines des puces conçue pour le secteur automobile par des sous-traitants.
Intel est présent dans les tableaux de bord avec des puces (Atom) et du logiciel dans les systèmes multimédia embarqués. Son offre est compatible avec les plateformes de type GENIVI ou AGL (Automotive Grade Linux) poussés par la Fondation Linux. Et elle intègre tous les raffinements du moment dont la reconnaissance vocale et gestuelle, les écrans tactiles, la vidéo HD, la connectivité Internet avec le cloud et bien sûr les aides à la conduite. Mais, le fabricant n’est pas simplement un fournisseur de « chips ». Intel, qui s’intéressait déjà à la conduite autonome et disposait déjà d’une division dans ce domaine (Automated Driving Group : ADG), a racheté MobilEye en 2017 pour un montant de 15 milliards de dollars. Il s’agit d’une véritable pépite, dont l’expertise est la vision artificielle, l’analyse de données et la localisation d’objets en lien avec les aides à la conduite. C’est le partenaire de bon nombre de constructeurs (25 au total), qui s’arrachent ses caméras avec la puce intégrée EyeQ pour des fonctions qui vont du freinage automatique d’urgence à la conduite semi-autonome. Les produits ont été déployés sur plus de 60 millions de véhicules. La société israélienne emploie 1 700 employés. Et c’est d’ailleurs depuis son siège, à Jérusalem, qu’elle supervise les travaux d’Intel dans la voiture autonome, sous la direction d’Amnon Shashua, expert de la vision par ordinateur et architecte de cette technologie de pointe.
© Fournis par Autonews
Pour justifier cette acquisition, le géant américain met en évidence la complémentarité. MobilEye, ce sont les yeux de la voiture autonome. Intel représente quant à lui le cerveau, avec son savoir-faire en matière de calcul. Et justement, le véhicule autonome nécessitera le traitement de plus de 4000 Go de données par jour et par véhicule. Le marché, lié aux équipements et aux services (dont l’exploitation de cette fameuse Big Data) est estimé à 70 milliards de dollars à l’horizon 2030. Le groupe informatique dispose par ailleurs de modems 5G, en plus de ses processeurs et de son expertise dans le cloud. Et pour compléter l’offre, Intel s’est aussi rapproché de l’éditeur de cartes pour GPS HERE Technologies. En 2017, il a pris 15 % du capital, rejoignant ainsi les trois constructeurs Audi, BMW et Mercedes (sachant qu’il y a aussi d’autres acteurs de l’auto parmi les actionnaires, dont Bosch, Continental et Pioneer). C’est un partenariat gagnant-gagnant, car Intel fournit son savoir-faire informatique pour assurer la mise à jour des futures cartes HD destinées à la voiture autonome, que HERE pourra fournir aux constructeurs. Et les deux sociétés pourront aussi développer de nouveaux services autour de la réalité augmentée et des données liées à la localisation.
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Alors que les commandes se multiplient dans l’automobile (comme chez Toyota et Ford qui ont opté dernièrement pour des caméras intégrant des puces de MobilEye pour généraliser les aides à la conduite), la stratégie s’appuie aussi sur de la mobilité partagée. Ainsi, la firme israélienne teste sa technologie autonome à New-York : une ville particulièrement éprouvante pour les capteurs, avec des rues embouteillées, des cyclistes, des piétons, des véhicules en double file, des tunnels, des ponts et des travaux en permanence. Elle va aussi déployer des robots-taxis à Dubai, en Israël (avec Volkswagen), ou encore au Japon. Le savoir-faire de la filiale d’Intel va aussi se retrouver à bord de navettes autonomes. Un accord a été signé avec le groupe Transdev (pour une application à bord de navettes produites par Lohr), prévoyant des tests en France et en Israël dès l’an prochain, avant une mise en service en 2023. Mais surtout, MobilEye a signé un contrat avec la start-up américaine Udelv*, qui prévoit l’équipement avec un système autonome (MobilEye Drive) de 35 000 véhicules de livraison qui seront produits entre 2023 et 2028. C’est le plus gros contrat du monde dans la catégorie.
*Dont l’un des conseillers est Rick Wagoner, l’ancien PDG de General Motors
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Intel a par ailleurs mis la main sur une autre pépite de la tech israélienne : Moovit. On qualifie cette application de GPS du transport public. Rachetée en 2020 pour 900 millions de dollars, l’entreprise a séduit 800 millions de clients dans le monde. Ils peuvent calculer le meilleur itinéraire en utilisant une plateforme qui combine les transports en commun, le vélo, la trottinette, les VTC et les plateformes d’autopartage. Dernièrement, l’application s’est enrichie de la location de véhicules entre particuliers, grâce à un partenariat avec l’américain Getaround. Le service Moovit est valable dans plus de 3 000 villes dans le monde. Cette acquisition vise à faire de MobilEye un opérateur de mobilité. En plus des robots-taxis, l’idée est donc de proposer ce qu’on appelle la mobilité en tant que service (MaaS). Et en additionnant ce marché avec celui des aides à la conduite et de la donnée, on arrive cette fois à un gâteau potentiel de 230 milliards de dollars en 2030. Le géant de la puce est le seul à avoir une vision aussi globale dans l’univers de l’informatique.
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