Ford est sommé de verser 1,7 milliard de dollars aux héritiers d’un couple d’Américains tués dans l’accident de leur pick-up. Le constructeur dément avoir eu connaissance d’un défaut de conception, qui l’exposerait à des tourments judiciaires supplémentaires.
L’automobiliste américain s’est entiché du gros pick-up pour en faire son véhicule de tous les jours, qu’il conduit comme s’il s’agissait d’une berline svelte et agile. Pourtant les deux tares congénitales de ce type de véhicule utilitaire devraient l’inciter à davantage de circonspection. Leur masse conséquente et leur centre de gravité haut perché expliquent pourquoi ils se retrouvent fréquemment sur le toit, roues en l’air.
La plupart du temps, le conducteur s’en tire sans trop de dommages. Car la plupart des Ford F-150 et autres Chevrolet Silverado, GMC Sierra, RAM 1500, Toyota Tundra et Nissan Titan en circulation appartiennent à la catégorie de la demi tonne (“half-ton pick-up”), dont la cabine est conçue pour ne pas s’aplatir sur la tête des passagers en cas de retournement. En revanche dans la catégorie supérieure du pick-up “Heavy Duty”, les montants qui soutiennent le pavillon et le pare-brise peuvent finir par plier sous la charge. Songez que nous parlons là de véritables camions, dont la masse à vide n’est jamais inférieur à 4.500 kilogrammes.
C’est l’effondrement du toit de la cabine allongée (4-portes) du pick-up Ford F-250 Super Duty de 2002 qui a coûté la vie à son propriétaire Melvin Hill (72 ans) et à son épouse Voncile Hill (62 ans), lors d’un accident survenu en avril 2014. Après un premier procès interrompu par des péripéties judiciaires en 2018, les ayants-droits Hill ont obtenu le 18 août des dommages et intérêts à hauteur de 24 millions de dollars. Un montant conséquent en soi, mais qui passe pour une broutille en comparaison du 1,7 milliard de dollars de pénalités supplémentaires octroyé le lendemain par le même jury populaire du comté de Gwinnett, dans l’État de Géorgie.
Pourquoi cette sentence en deux temps ? Les dommages et intérêts d’un montant de 24 millions de dollars alloués à titre de compensation de la perte de deux êtres chers seront versés conjointement par Ford, fabricant du véhicule, et par la chaîne d’entretien rapide Pep Boys, reconnue coupable d’avoir vendu à Melvin Hill en 2010 des pneumatiques portant le mauvais indice de charge. Or, c’est la défaillance du pneu sur la roue avant droite qui a entraîné la perte de contrôle du véhicule parti en tonneaux.
Quant aux 1,7 milliard de dollars, ils relèvent de ce que la loi de l’Ohio appelle les “dommages punitifs”, qu’un jury peut accorder afin de sanctionner le comportement de l’industriel accusé d’avoir eu connaissance d’un défaut de fabrication. En l’espèce et au vu du rapport de 80 accidents aux conséquences similaires mettant en cause le F-Series Super Duty, le jury a estimé que Ford avait connaissance d’une faiblesse structurelle de ses pick-up. Les avocats des demandeurs en voulaient pour preuve la modification de la construction de leur cabine en 2016.
En réponse, le constructeur arguait le simple saut générationnel. Cette année-là, en 2016, la quatrième génération du F-Series Super Duty succédait à la troisième, produite de 1999 à 2016. Or, ce genre de passation de témoin s’accompagne toujours de modifications techniques de tous ordres, y compris celles requises pour se conformer aux exigences réglementaires renforcées. De fait, la National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA) a commencé à exiger une résistance accrue à l’enfoncement du toit des pick-up lourds sur les nouveaux modèles introduits à compter de 2009. Le nouveau F-Series Super Duty devait s’y conformer, tout comme ses rivaux chez GM ou chez Toyota.
Lors du procès, les avocats de Ford Motor Company ont cité plusieurs études techniques qui démontrent, à leurs yeux, la conformité à la loi du toit de ses pick-up lourds. Ces juristes ont fait valoir le fait que la catégorie des véhicules utilitaires lourds (à partir de 4.500 kg) à laquelle appartenait le Ford F-Series Super Duty modèle 2002 n’était pas soumise à des exigences légales plus strictes que la catégorie des pick-up demi tonne (“half-ton pick-up”).
Cet argument a été balayé du revers par le jury qui a estimé que Ford n’aurait pas dû s’en tenir à la lettre de la loi ; que ses dirigeants n’auraient pas dû se satisfaire d’installer sur ses pick-up lourds (modèles F-Series Super Duty) la cabine conçue pour ses pick-up légers F-150. Qu’en d’autres termes, la structure creuse des montants de toit et de pare-brise du F-150 (qui se justifie par souci d’allègement et d’économie d’énergie) n’aurait pas dû être validée pour les modèles F-Series Super Duty nettement plus lourds.
L’autre système de défense de Ford n’a pas davantage convaincu les membres du jury. Pour démonter la thèse selon laquelle il connaissait la fragilité présumée du pavillon de la cabine de son pick-up F-Series Super Duty (et qu’il aurait décidé de ne rien entreprendre pour la corriger), le constructeur a fait valoir l’empressement et l’assiduité avec lesquels il fait part aux autorités fédérales de la découverte des défaillances dont peuvent souffrir ses produits.
De fait et pour ne citer qu’un seul exemple, Ford a bel et bien orchestré une campagne de rappel à l’atelier de quelque 250.000 exemplaires de ses camions F-Series Super Duty produits à 5,2 millions d’exemplaires entre 2017 et 2022. En l’occurrence, le défaut ne concernait pas la résistance du pavillon, mais l’arbre de transmission, dont l’alliage d’aluminium pouvait développer une crique et se rompre. Ford a pris l’initiative d’informer les fonctionnaires de la NHTSA de son intention de procéder à ses frais au remplacement préventif de cette pièce sur les véhicules en circulation. Une procédure plus fréquente qu’il n’y paraît dans l’industrie automobile, qui rappelle chaque année plusieurs dizaines de modèles pour procéder à des réparations préventives ou à des mises à jour logicielles.
Ford Motor Company a confirmé son intention d’interjeter appel de la décision du tribunal de l’Ohio.
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