Jean-Christophe Sciberras, président du groupe Prospective des métiers et qualifications, reconnaît une évolution du contexte économique. Selon lui, il est plus favorable, avec des résultats encourageants en matière de créations d’emplois et de réduction du chômage, mais aussi plus incertain, marqué par l’impact de la crise sanitaire, par l’urgence des changements environnementaux, par le déploiement des technologies numériques (robotisation, numérisation, intelligence artificielle, etc.) et par les effets démographiques, liés au vieillissement de la population et aux besoins de remplacement des postes qu’il induit.
Et d’indiquer « qu’à l’heure actuelle, il pourrait également être durablement modifié par le conflit géopolitique russo-ukrainien. Ces évolutions rendent complexe notre exercice de prospective – d’où une scénarisation des trajectoires possibles – mais elles renforcent aussi son utilité, mesurée à l’aune des attentes exprimées par les acteurs régionaux et nationaux de l’emploi et de la formation professionnelle ».
Quatre scénarios pour imaginer le futur du travail
Face aux incertitudes accrues par la crise sanitaire, le rapport “Les métiers en 2030” publié par la Dares fait des projections en s’appuyant sur quatre scénarios pour envisager différentes trajectoires possibles : « Ces quatre scénarios se distinguent par leurs hypothèses sur les changements de comportement qui perdureront après la crise liée au Covid-19 et sur le degré d’effort réalisé dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre (tableau 2) ». Le premier scénario intègre des hypothèses modérées sur les changements de comportement induits par la crise et une action pour le climat limitée aux mesures en place ; il est considéré comme le scénario de référence dans la mesure où les scénarios alternatifs y ajoutent des chocs additionnels.
Dans le rapport, évoquant des raisons de clarté, les projections présentées se sont principalement appuyées sur ce scénario de référence et les résultats des trois autres scénarios ont été décrits en écart par rapport à lui. Il a été précisé « cela ne signifie pas pour autant que ce scénario de référence puisse être considéré comme
le scénario central ou le plus probable »
Création d’emploi à l’horizon 2030 : ingénieur en informatique, métier en plus forte expansion
Dans le scénario de référence, 1 million d’emplois seraient créés entre 2019 et 2030, dont deux tiers dans les services marchands. Avec la poursuite de la tertiarisation de l’économie, la croissance de l’emploi dans les services serait équivalente à celle de l’emploi d’ici 2030. Le poids des services traduit la spécialisation hexagonale, d’une part dans les services aux entreprises, d’autre part dans les services d’utilité collective portés par la socialisation des dépenses d’éducation, de santé et d’action sociale. Les services généraux de l’administration continueraient de se replier. Il en va de même de l’emploi agricole qui poursuivrait sa décrue au même rythme que par le passé. En revanche, les métiers industriels se redresseraient, inversant la tendance baissière des années passées
Entre 2019 et 2030, seraient créés :
Les quatre métiers les plus créateurs d’emploi (entre 110 000 et 115 000 chacun) seraient les ingénieurs informatiques, les infirmiers-sages-femmes, les aides-soignants et les cadres commerciaux. Viendraient ensuite les aides à domicile (+100 000) et les ouvriers qualifiés de la manutention (+80 000), qui devanceraient les cadres des services administratifs et financiers et les ingénieurs et cadres techniques de l’industrie (respectivement +75 000).
Quels métiers recruteraient le plus ?
À ces créations nettes d’emplois s’ajoutent les départs en fin de carrière des dernières générations de baby-boomers, la somme des deux donnant les postes à pourvoir ou besoins de recrutement par métiers, soit au total près de 800 000 postes à pourvoir chaque année d’ici 2030 (près de 90 % provenant du remplacement des départs des seniors).
Parmi les quinze métiers comptant le plus de postes à pourvoir, trois catégories se distinguent :
L’impact de l’intelligence artificielle sur l’emploi minimisé
Dans le rapport, il est évoqué un repli anticipé de l’emploi dans la logistique/transport et la finance, confrontés à un fort risque d’automatisation. Ci-dessous, un extrait du rapport :
Deux secteurs verraient leur emploi se réduire en projection a contrario de ce que l’on observait jusqu’à présent : il s’agit du transport-entreposage et de la banque-
assurance. Ces services d’intermédiation logistique et financière, à destination des ménages et des entreprises, ont créé beaucoup d’emplois dans les années 2000 sous
l’effet du développement du commerce en ligne pour les premiers et de la globalisation financière pour les seconds. Ils sont aujourd’hui confrontés à un fort risque d’automatisation de leur process (robots dans les entrepôts, possible développement des voitures autonomes, opérations de back-office, de gestion, de paiements et de trading automatisées pour les banques) et de leurs usages (banque en ligne). Les services de transports sont de surcroît confrontés à un risque de réduction de la mobilité qui affaiblit la demande de transport de voyageurs.
Le secteur bancaire et assurantiel, dans un contexte de taux d’intérêt historiquement bas et d’exigences accrues de fonds propres qui amenuisent les profits et la rentabilité, enregistrerait pour la première fois depuis vingt ans des réductions d’emplois substantielles (-12 % de 2019 à 2030). Deux facteurs principaux expliquent ce recul. Le premier relève de la numérisation des services et de leurs usages (consultation et souscription en ligne), qui devrait conduire à une accélération de la fermeture
d’agences. Les investissements continus de ce secteur, en particulier dans le cloud mais également dans des technologies plus spécifiques comme l’intelligence artificielle, seraient susceptibles d’accélérer les gains de productivité et donc d’amplifier les destructions d’emplois. Ils pourraient en effet rendre la gestion des services bancaires et assurantiels plus efficace et automatiser les processus de production de certains services (tarification, trading, vérification des comptes et des transactions), avec pour corollaire des réductions d’emplois à tous les niveaux de qualification (conseillers clientèle, back-office, audit, services juridiques).
Une position qui contraste avec plusieurs rapports qui entrevoient un impact beaucoup plus large
Depuis la sortie et l’évolution de ChatGPT, les rapports tirant la sonnette d’alarme se multiplient pour signaler la possibilité que l’humain soit remplacé par une IA de plus en plus perfectionnée.
Par exemple, le PDG de KPMG, Paul Knopp, a averti que l’intelligence artificielle entraînera des « perturbations de l’emploi » à long terme, selon une enquête de son cabinet. La recherche révèle que 58 % des consommateurs estiment que l’IA générative a un impact significatif sur leur vie professionnelle. Knopp a souligné que bien que 76 % des milléniaux et de la génération Z estiment que leur emploi est déjà fortement impacté par l’IA, il n’y a pas encore eu de perte d’emploi notable.
Une enquête de The Burning Glass Institute a noté que l’IA menace les emplois en col blanc dans divers secteurs.
Le bloggeur Donald Clark est d’avis que « l’idée selon laquelle l’intelligence artificielle viendra juste rendre les humains plus productifs sans prendre leurs emplois est un mensonge. »
« L’idée selon laquelle l’IA ne va pas s’accaparer des emplois est ridicule. Tout d’abord, c’est déjà le cas. Les librairies et le commerce de détail ont tous été durement touchés par Amazon. Nous effectuons désormais nos recherches en ligne et non plus dans les bibliothèques, qui ont donc également été touchées. Les traitements de texte ont détruit les équipes de dactylographes et les tableurs, celles des comptables. Dans le domaine de la traduction, nous assistons déjà à la perte massive d’emplois chez Duolingo et dans toutes les grandes entreprises multilingues du monde. Les sociétés d’enseignement ont été les premières à constater les gains de productivité et ont licencié des milliers de personnes. L’idée qu’il n’y a pas eu ou qu’il n’y aura pas de remplacement d’emplois réels est absurde. C’est une belle phrase à lancer lors de conférences pour obtenir des applaudissements chaleureux, mais elle est dangereusement naïve. Les orateurs ont tendance à vouloir être aimés, plutôt que d’affronter l’inconfortable vérité économique selon laquelle les changements techniques majeurs entraînent TOUJOURS des pertes d’emplois », souligne-t-il.
Source : rapport de la Dares