
Les fluctuations hormonales subies par les femmes lors de leurs cycles menstruels provoquent des modifications structurelles de certaines zones du cerveau ; un effet qui était jusque-là inconnu.
Les variations du cycle hormonal entraînent avec elles une cascade de modifications dans l’organisme féminin, qu’elles soient d’ordre physique ou psychique, toutes différentes à l’échelle individuelle. Effets sur l’humeur, sur l’appétit, baisse d’énergie, troubles du sommeil ou digestifs, gonflements mammaires, douleurs lombaires, changements au niveau du derme, etc. Signes que le corps travaille durement à s’adapter à ces flux, qui affectent aussi les tissus neuronaux, comme vient de le montrer cette étude américaine.
Une équipe de neuroscientifiques de l’Université de Californie (UC) à Santa Barbara l’ont prouvé l’an dernier, dans cet article publié le 19 juillet 2024 dans la revue Human Brain Mapping. « Les fluctuations cycliques des hormones de l’axe HPG [NDLR : circuit hormonal reliant le cerveau, l’hypophyse et les ovaires] exercent de puissants effets comportementaux, structurels et fonctionnels sur le système nerveux central des mammifères. Pourtant, on sait encore très peu comment ces mêmes fluctuations modifient les structures et les réseaux d’information du cerveau humain », précisent les chercheuses Elizabeth Rizor et Viktoriya Babenko, autrices principales de l’étude.
Les hormones féminines : les autres architectes de la matière cérébrale
L’équipe a suivi trente femmes au fil de leur cycle, en les observant à trois moments centraux de ce dernier : les menstruations (phase d’élimination de la muqueuse utérine), l’ovulation (moment de libération de l’ovule par l’ovaire) et la phase lutéale (période de sécrétion de progestérone précédant les règles suivantes).
À chacune de ces étapes, les chercheuses ont réalisé des examens d’Imagerie par Résonance Magnétique (IRM) du cerveau des participantes et ont simultanément mesuré leurs niveaux d’hormones (analyses sanguines). Cette approche leur a permis d’évaluer directement l’impact biologique des fluctuations hormonales sur la microstructure des tissus cérébraux.
Les chercheuses ont ainsi pu noter que de nombreuses modifications affectaient leur cerveau, dépendantes de la phase du cycle. Les volumes de matière grise (où s’effectue le traitement de l’information), de matière blanche (reliant entre elles les différentes régions cérébrales) et même de liquide céphalorachidien (fluide qui protège et nourrit le cerveau) varient au rythme des fluctuations hormonales.
Juste avant l’ovulation, les taux de 17β-œstradiol (la forme la plus active de l’œstrogène) et d’hormone lutéinisante (LH, responsable de la libération de l’ovule) atteignent leur pic. Une poussée hormonale coïncidant avec des variations observées dans la microstructure de la matière blanche. Selon leurs analyses, l’orientation et la densité des fibres qui la composent changent, ce qui tendrait à favoriser la communication entre les différentes aires cérébrales.
Ce n’est pas tout ; l’hormone folliculo-stimulante (FSH), sécrétée juste avant l’ovulation pour permettre la maturation des follicules ovariens, semble provoquer une légère augmentation de l’épaisseur du cortex cérébral. Ce qui signifie que, dans certaines régions de la matière grise, les neurones et leurs connexions se densifient à cette phase du cycle.
La phase de post-ovulatoire (phase lutéale), toujours accompagnée d’une hausse des taux de progestérone, est également associée à une augmentation de la densité du tissu cérébral, mais également à une réduction du volume de liquide céphalo-rachidien. Un phénomène interprété par les chercheuses comme le signe d’une réponse physiologique du cerveau au rythme hormonal propre à cette phase du cycle.
« Nos résultats sont les premiers à montrer des changements simultanés dans l’ensemble du cerveau humain, à la fois dans la microstructure de la matière blanche et dans l’épaisseur corticale, en lien direct avec les rythmes hormonaux du cycle », expliquent les autrices dans leur publication.
Quelles sont les conséquences sur le comportement et la cognition ?
Si ces modifications structurelles sont désormais établies, leurs répercussions sur le comportement et les fonctions cognitives restent, pour l’heure, inconnues. Les chercheuses confessent ne pas avoir observé de lien direct entre les changements anatomiques expliqués précédemment et d’autres réactions mesurables. L’attention, la mémoire, la prise de décision ou la régulation émotionnelle, par exemple.
« Bien que nous ne démontrions pas encore d’effets fonctionnels associés à ces changements structurels, nos résultats pourraient aider à comprendre comment les hormones modulent le comportement et la cognition », expliquent-t-elles.
Pour autant, ces travaux ne seront pas inutiles à l’avenir, puisque ces chercheuses de l’UC ont tout de même réussi à poser un nouveau cadre d’analyse sur cette problématique, intégrant la variabilité hormonale pour mieux la cerner. Un facteur que de nombreuses disciplines considéraient comme un biais méthodologique. En effet, pour garantir des résultats uniformes, de nombreuses études neuroscientifiques excluaient les femmes de leurs cohortes ou les testaient uniquement à un stade spécifique de leur cycle (souvent la phase folliculaire précoce) afin de contourner les effets jugés imprévisibles des cycles menstruels. Au contraire, ceux-ci participent justement à la plasticité cérébrale ; ce qui nous force à concevoir la variabilité comme un paramètre biologique légitime dont la recherche moderne doit apprivoiser pour restituer au cerveau féminin sa vraie nature : celle d’un organe adaptatif et cyclique.
via press citron